Juin 2007, c’était une belle journée, un de ces dimanches où, si la plage avait été plus proche, l’on aurait bien été se faire griller recto verso sur le sable fin, avec, pour les plus téméraires, un petit plouf bienfaisant dans l’eau encore fraîche d’un hiver pas si lointain.
C’était également jour de vote, pour envoyer à l’assemblée nos édiles, afin qu’ils nous représentent du mieux qu’ils le puissent… Ou pas…
Je ne me souviens plus s’il avait participé pour le premier tour, ma mémoire se joue de moi, surtout concernant cette période. Quoi qu'il en soit, il ne serait pas en état pour le second.
Au commissariat, l’on prend bonne note ; promesse de venir prendre la procuration à domicile. Entre-temps, nouvelle hospitalisation d’urgence, la routine de ces derniers mois…
Quand l’officier se présente, on lui explique le SAMU, le cœur — comme d’habitude —, on ne sait pas pour combien de jours, l’hôpital Percy ne peut pas nous dire…
Cela tombe bien, il y va jeudi et passera le voir, numéro de la chambre, service, tout est OK, il pourra voter pour le second tour.
Et puis si la vie était simple, cela se saurait ! Alors les deux messieurs ont dû se croiser. L’inspecteur, parce que bêtement, il ne l’avait pas mis en tête de ses listes ; mais pourquoi l’aurait-il fait, et lui, parce ce qu’il avait en main son bon de sortie, et que le précieux en poche pas question de rester une seconde de plus ici.
Dernière tentative vendredi pour faire venir quelqu’un à la maison, il est trop tard, il ne votera pas dimanche…
Bah, quelle importance, après tout, ce n’est qu’un vote, ce n’est pas cela qui changera le résultat !
Et puis dimanche arrive, il est fatigué ; un peu plus après chaque hospitalisation. Si la tête est toujours là, le corps, lui, ne suit plus, usé, fatigué, élimé. Depuis décembre sa bouteille d’oxygène ne le quitte pas. En septembre c’était juste deux heures par jour ; et puis la nuit... Maintenant, c’est 24 h sur 24, et la dose augmente régulièrement au gré des visites médicales.
Dehors le soleil brille, l’on a pris un tuyau assez long pour aller au jardin. Les dix mètres pour sortir nous rejoindre demandent dix bonnes minutes de récupération. Il est midi, on va passer à table, il fait chaud, il a froid, normal...
La conversation tourne forcément sur les élections, des chances de tel ou tel, sur des surprises éventuelles, et sur le taux d’abstention...
« Je veux aller voter » assène-t-il d’un coup
Surpris, soyons sérieux, ce n’est pas possible, dans ton état... et pourtant il avait décidé. Il avait toujours voté, et tant qu’il le pourrait, il irait. Il avait connu la guerre, vécu les vicissitudes de la fin de la quatrième et la cinquième, il aimait la liberté, et le droit de vote inhérent à nos démocraties.
Le bulletin dans l’urne est un devoir, et il était têtu !
On n’a pas eu le choix. Mise en place d’un plan de bataille, amener la voiture au plus près, le faire monter dedans, faire les 300 mètres qui nous séparent du bureau de vote, se garer juste au pied de l’escalier, devant le panneau interdiction de stationner ; au vu de l’équipage nul n’osera dire quoi que ce soit. Se mettre à deux pour le soutenir en escaladant les quelques marches de l’école primaire, que, gamin, je grimpais en deux ou trois enjambées, rentrer dans la salle et vite emprunter la chaise d’un assesseur pour nos dix minutes de récupération, la bouteille d’oxygène toujours en bandoulière.
Lâchement, l’on en profite pour effectuer notre devoir de citoyen.
Son bulletin, il l’avait déjà mis dans l’enveloppe, à la maison, grâce aux matériaux électoraux envoyés... le bureau nous autorise donc à zapper la case isoloir, et forcément les dix minutes de récupération obligatoire après. Je ne sais pas si c’est très légal, mais appréciable, sans nul doute...
A voté
Retour à la maison pour sa longue sieste méritée...
Deux semaines plus tard, il nous quittait, c’était son dernier devoir électoral...
Il y a quelques jours, un voisin avec qui je discutais me dit : « La dernière fois que j’ai vu votre père, c’était au bureau de vote »
Dimanche j’irai voter, peu importe pour qui ou pourquoi, mais j’irai. Depuis l’âge de dix-huit ans, je n’ai raté aucune élection, soit directement, soit par procuration, car voter n’est pas un droit, mais bien un devoir d’homme libre...
13 réactions
1 De mirovinben - 20/03/2010, 18:47
Voter est un devoir. J'en suis convaincu. S'abstenir un caprice de citoyen gavé/gâté/blasé. Je regrette juste l'absence de comptage "sérieux" des votes blancs qui devraient peser autant que les bulletins "classiques". Imaginons des candidats tous rejetés par une majorité de votes blancs... Quelle baffe dans leur égo. Les politiques ne sont pas prêts d'accepter cela.
Merci pour ce beau témoignage et de l'émotion qui l'accompagne.
2 De Catherine - 21/03/2010, 08:10
Bel exemple de civisme. Quand on entend les excuses bidons invoquées par certains abstentionnistes je trouve qu'il y a des baffes qui se perdent. Et aussi bien d'accord pour le décompte des votes blancs ou nuls car ils expriment eux aussi les opinions des votants.
3 De Bea - 21/03/2010, 08:21
Pourquoi tu me fais pleurer de bon matin ?
4 De legweak - 21/03/2010, 09:54
Je ne me suis abstenu qu'une fois depuis mes 18 ans et c'était volontairement pour pousser un coup de gueule (pas parce que j'avais la flemme) : le Referendum sur le Quinquennat alors qu'à cette époque, il y avait des préoccupations plus importantes pour les français. Avec le recul, je me rends compte que ce coup de gueule n'aura servi à rien
Je ne comprends pas les gens qui ne vont pas voter. Merde, ce n'est pas un effort surhumain (surtout après avoir lu ta note ceux qui ne votent pas devrait avoir honte) ? Pensez donc, ça prends 30 minutes maxi aller-retour et on risque de louper Drucker à la télé
Mais les politiques ne font rien pour nous intéresser et le spectacle désolant de la campagne actuelle n'arrangera pas grand chose pour le futur.
5 De Ysabeau - 21/03/2010, 13:34
Cela dit, quand on voit que les journaux annoncent à coups de sondages que le résultat est plié. Ça donne pas envie d'aller voir le chameau de mon bureau de vote...
Mais, comme je pense que j'ai une énorme responsabilité vis-à-vis des personnes (et notamment des millions de femmes) qui, ailleurs, ne bénéficient pas de ce droit qui leur permet de dire zut aux dirigeants (entre autres) et d'en changer, je vote. En prime je considère que cela me donne le droit de critiquer si ceux qui sont mis en place ne me plaisent pas ou ne font pas comme je voudrais. J'estime que s'abstenir de voter c'est aussi ne pas avoir le droit de l'ouvrir.
Effectivement, comme, j'en ai l'impression, une majorité des votants, j'aimerais bien qu'un vote blanc soit accepté comme expression d'opinion.
6 De samantdi - 21/03/2010, 15:11
Ton billet me donne les larmes aux yeux... Moi aussi je vote tout le temps, à chaque élection. Même quand je râle après les hommes politiques, je me souviens du grand sens civique que m'a inculqué mon grand-père : un droit mais aussi un devoir de mémoire pour tous ceux et toutes celles qui se sont battus pour que nous allions voter.
Et tant de gens aimeraient avoir ce droit-là !
7 De Valérie de Haute Savoie - 21/03/2010, 15:42
Les yeux pleins de larmes, qu'il est beau ce billet Gilsoub Merci.
8 De lajeunebergere - 21/03/2010, 18:07
Très émouvant...
J'aime beaucoup ta dernière phrase
9 De Mathis Liar - 21/03/2010, 18:14
Très très beau billet, vraiment.
Découvert grâce à Valérie, je reviendrais !
10 De Gilsoub - 21/03/2010, 20:48
Ben heu merci... voulait pas vous faire pleurer non plus
11 De Oxygène - 22/03/2010, 10:51
Moi aussi j'ai les larmes aux yeux... Remplir son devoir civique, jusqu'au bout. C'est une belle illustration de la liberté.
12 De Gilsoub - 22/03/2010, 23:00
@Oxygène: merci
13 De frouche - 08/05/2012, 10:31
Merci de m'avoir permis de lire ce post. Et si je n'ai pas cette foi citoyenne, je suis bouleversée à plus d'un titre.