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C’était donc un jeune homme discret et réservé que ma mère devait séduire.
L’entreprise se montra plus ardue qu’il n’y paraissait au premier abord. Si la scolarité de maman se déroulait sans trop de problème, force était de constater qu’un monde intellectuel les séparait ! Les seuls livres que ma mère eût lus étaient ceux qui sont imposés par le programme scolaire. Ceux que l’on appelle des classiques et que l’on fait ingurgiter, parfois jusqu’à plus faim, à des générations d’écoliers. Si l’on rajoute à cela quelques morceaux choisis des bons vieux « Lagarde et Michard » et les pages people des magazines, l’on obtient un état des lieux des connaissances littéraires maternelles. Pour le reste, elle ne se tenait jamais informée de l’état du monde, de la politique ou des dernières modes culturelles. Le seul domaine où elle restait imbattable était les us et coutumes, mœurs et autres mariages des grandes familles princières. Comparé à elle, Ademar faisait figure d’extraterrestre. Toujours plongé dans un bouquin, il lisait le journal tous les jours, était capable de disserter des heures durant sur une phrase, une idée ou de refaire le monde autour d’une bonne bière avec quelques-uns de ses rares amis.
Il y avait un mur entre eux deux. Un mur infranchissable en apparence. Mais elle le savait, si l’on ne peut pas passer par-dessus un obstacle, il suffit de le contourner. On finit toujours par trouver la faille. Et cette faille s’appelait Bertrand. Il était comme l’on dit, un camarade de classe. Il allait devenir un ami pour sa bonne cause. Il avait pour lui d’être un de ces rares érudits à faire partie du cercle restreint des intimes d’Adémar. Il était de ceux avec qui ils parlaient des heures durant, de livres, de politique, d’histoire ou de tout ce qui pouvait bien leur passer par la tête. L’essentiel étant de débattre pour le plaisir des phrases, de la joute orale.
Bertrand avait une autre passion, la mécanique automobile. Et dans ce domaine, maman pouvait lui être utile.
C’est à une récréation qu’elle lui indiqua qu’elle aimait Ademar. Elle lui proposa un marché. Il l’aidait à le conquérir, et elle, en échange, lui favoriserait l’accès au garage, et pourquoi pas un petit boulot pendant les vacances. Un grand éclat de rire répondit d’abord à sa proposition. Ademar et elle ensemble, voilà bien une union qui paraissait contre-nature à Bertrand. Rien qu’à imaginer la chose, il était pris de ricanement. Loin de se vexer, ma mère insista jusqu’au pathétique, s’il fallait en arriver là, pourquoi pas. Bertrand, une fois repris ses esprits, essaya bien de lui expliquer le ridicule de la situation, de la dissuader d’une telle idée. Mère de son côté ne parlait plus que de l’Amour, plus fort que tout, et autres fadaises qui lui venaient à l’esprit. Elle fit si bien, que Bertrand se laissa convaincre. Après tous, se disait-il, si elle tient à se prendre un râteau, c’est son problème ! Le pacte fut symboliquement scellé. Il lui ferait rencontrer Ademar, lui fournirait régulièrement un résumé de l’actualité qu’il faut connaître, des livres qu’il faut avoir lus, ou tout du moins leur synthèse. De son côté, elle convainquit son père d’accepter son nouvel ami dans son garage, de l’aider et de lui apprendre quelques petits secrets de mécanique.