Ce petit billet retrouvé dans les entrailles du MacBook, date de novembre 2010. Initialement écrit en partie sur mon petit carnet qui ne me quitte jamais, puis recopié sur le portable…

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« Non Monsieur ! C’est Pépin le Bref… » cria-t-il de sa voix de stentor ! Quand il était énervé, elle prenait des proportions inverses à la taille de son corps. 

En rentrant dans le bar, j’ai tout de suite su que c’était lui, il avait disparu depuis presque un an…

Physiquement, il avait changé… pas en bien ! Petit, sa rondeur bonhomme avait disparu. Il faisait malingre avec cette maigreur soudaine… Et ce visage creusé ! 

Cette canne accrochée sur le bord du zinc, est-ce seulement pour accompagner l’équilibre tangent d’une ivresse certaine et quotidienne ?

Valentin devenait l’ombre de lui-même… 

L’alcool sonnait le dernier round d’une déchéance inévitable !

Il est content de me voir, et me parle de mille choses, avant même que j’aie eu le temps de dire  « salut ». 

Le patron à ordre de me servir immédiatement mon demi, malgré le fait qu’il refuse de lui servir un nouveau verre sous le fallacieux prétexte qu’il y en aurait déjà assez bu et que donc, sans ma présence, il aurait définitivement changé de crémeries !

Il n’est déjà plus très frais, et ses maigres jambes ont l’air d’avoir du mal à soutenir le poids des quelques grammes d’alcool qui auraient suffi à tuer n’importe quel humain normalement constitué…

J’ai mal de le voir ainsi. Dans ma courte vie, j’ai vu trop de gens victimes de leur addiction, finir la gueule en vrac… drogue, alcool, médicament…

Je regarde les autres piliers de ce petit bistrot, se moquer de lui, de ses beaux discours, de sa soi-disante culture étalée dans son verre de pastis…

J’ai d’autant plus mal que je le connais depuis longtemps Valentin, et je sais que c’est une tronche, comme l’on dit, et que ce qu’il étale dans son délire éthylique est vérifiable et véridique dans le moindre détail… Seul le ton fait défaut à sa crédibilité !

Il travaillait encore la première fois que je l’ai rencontré. Il passait le soir, accompagné de son chien — et parfois de son accordéon —, boire une petite bière.

Chercheur, Maître de thèse, professeur, il avait son labo dans une de ces grandes institutions qui fait la fierté de la France. Il vous causait physique quantique, chimie des molécules et autre truc que je ne comprenais pas. Sa spécialité, la chimie des étoiles ou un truc du genre combiné avec le big bang.

Comme souvent, chez ce genre de personnage, c’était un érudit complet, une encyclopédie vivante, un spécialiste de nos dynasties royales, un littéraire accompli et un spécialiste en presque tout.

La main sur le cœur, il vous offrait des bouquins ou de la bonne humeur…

Un jour, l’âge et l’administration l’on rattrapé. 65 ans, il va falloir rendre les clefs du labo, accompagner les derniers thésards et n’être plus rien du jour au lendemain !

Alors, il a commencé à s’épancher sur le comptoir, à noyer sa rancune dans l’alcool, cette fausse amie, cette traîtresse…

Triste déchéance, d’un homme parmi tant d’autres, risée des autres poivrots de ce troquet. À quoi bon toute cette culture, tout ce savoir, tout ce travail, pour en arriver là, finir pas loin du caniveau…

Allez viens Valentin, j’ai ma voiture, je te ramène, tu ne vas pas rentrer à pied, tu me fais pitié… 

Ce soir, en te voyant, j’ai envie de chialer sur la lâcheté de la vie…

NB : Depuis que je l’ai ramené devant chez lui, cette soirée d’octobre,  je ne l’ai plus jamais revu…