Il faisait sombre dehors, un ciel à neige, de ce gris reconnaissable entre mille pour le cancre que j’étais dont la spécialité était bien l’observation du ciel en toute saison ; attendant la sonnerie libératrice. Monsieur Ramo venait d’allumer cette lumière jaunâtre qui baignait à présent la salle de classe. Il était debout au centre de l’estrade, raide comme un piquet dans son complet étriqué trop petit pour lui. Sa tête de Quasimodo laissait deviner sous de grosses lunettes en cul de bouteille deux yeux globuleux dont le plaisir ineffable était de parcourir la classe à la recherche de la victime idéale. Sur son crâne quelques cheveux savamment longs essayaient tant bien que mal de cacher, à coup de Pétrol Han et de peigne, une calvitie bien avancée. Nous ne l’aimons pas, et tout laisse présager que c’est réciproque.

La classe est maintenant silencieuse, même les mouches se sont posées, vingt-sept élèves retiennent leurs souffles, essaient de ne pas croiser son regard, de se faire oublier, regrettant subitement de ne pas être au fond de son lit à l’article de la mort. Allez savoir pourquoi, j’ai eu un mauvais pressentiment, et cela n’a pas raté ; son regard grossi par les lentilles s’est arrêté au fond de mes yeux !

- Mathieu ! Quelle était la poésie à apprendre pour aujourd’hui ?

Mais pourquoi moi ? Il ne peut pas me laisser tranquille près de mon radiateur ?

- La mort du loup d’Alfred de Vigny Monsieur

-Et l’avez-vous apprise ?

- ...

- Monsieur Mathieu au tableau ! éructa-t-il.

Si vous n’avez jamais vu un condamné à mort s’avancer vers l’échafaud, vous ne m’avez jamais vu quand je suis appelé au tableau par Monsieur Ramo professeur forcément pervers. Le temps de quitter mon radiateur, de déranger mes petits camarades, et de venir du fin fond de la classe me semble passer bien lentement, mais ce n’est rien à côté du supplice qui m’attend. Je vois des regards de compassion dans le visage de ceux que je croise, sauf pour le Fred, mais le Fred ne m’aime pas, alors lui, il rigole… Voila j’approche de l’estrade monte dessus et me tourne vers mes camarades…

- Nous vous écoutons…

- Les nuages couraient sur la lune enflammée comme sur l’incendie on voit… On voit…

- Et que voyez-vous, Monsieur Mathieu ?

- Heu, on voit frire ? Frire la fumée ?

- Ha haha tonna-t-il d’une voix étrange, voyez-vous cela, votre petit camarade fait frire de la fumée ! Tchac fit la claque sur ma joue, juste le bout des doigts cinglant, fuir Monsieur Mathieu FUIR sur la fumée… Il devenait tout rouge, les veines commençaient à apparaître sur son visage… Ensuite Monsieur Mathieu, la suite, JE VEUX LA SUITE Monsieur Mathieu cria-t-il !

- ...

- LA SUITE, MONSIEUR MATHIEU, LA SUITE VITE OÙ JE M’ÉNERVE ! Je vais vous pendre à la fenêtre avec vos bretelles Monsieur Mathieu !

- ... Et… les voix… heu non les bois étaient noirs… 

- Oui ?

- Heu, je sais plus Monsieur pleurais-je…

Ce qui se passa alors dépassait l’entendement, je vis Monsieur Ramo se mettre à gonfler, sa chemise craqua, laissant apparaître des muscles incroyablement bandés ; lui si chétif d’habitude. Il grandit et dans sa grande fureur cassa son bureau d’un coup-de-poing ! Il était maintenant dans l’obligation de courber l’échine à cause du plafond…

- Mathieu votre récitation, je veux vous entendre dire votre récitation… MATHIEUUUUU

La classe était déjà à moitié vide, prenant mon courage à deux mains, je réussis à lui passer entre les jambes et à sauter dans l’embrasure de la porte juste avant que son poing ne s’abatte sur moi. Il me rata, mais défonça le plancher à la grande surprise de la classe du dessous… Ce qui se passa ensuite, je ne peux vous le dire. Je suis rentré à la maison parce qu’il était l’heure. Je crois juste que le directeur était en train d’appeler le renfort de l’armée.

- Voila papa et maman, pourquoi je pense que je ne peux plus retourner à l’école. C’est bien trop dangereux pour moi !

Allez savoir pourquoi, mes chères et tendres géniteurs me regardaient d’un air dubitatif, un sourire en coin…

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Petit texte accouché difficilement (en ce moment j'ai du mal à écrire, je me force un peu!) pour les impromptus de cette semaine, dont le but était de placer l'alexandrin : "Les nuages couraient sur la lune enflammée" tiré du poème "la mort du loup" d'Alfred de Vigny...