Dans le petit boudoir de Mademoiselle, il y avait un cadavre, et cela embêtait beaucoup Mademoiselle. Déjà, vivant, Paul était énervant. Mort, il n’en était que plus agaçant !

Un joli macchabée encore tout chaud, voyez-vous cela, que c’est contrariant !

D’abord, c’est bien encombrant, ensuite, les trois chipies attendaient le résultat dans le petit salon, et ce n’était certainement pas celui escompté !

Elle regardait Paul, il était nu comme un ver, les yeux exorbités, comme un petit sourire de plénitude sur les lèvres, ni beau, ni moche, d’un commun affligeant, la quarantaine déjà bien avancée. Par contre, le monsieur était bien fourni par la nature et elle se dit que sans ce pari stupide il eu été dommage que la chose resta inutilisée même si maintenant le joujou était cassé !  

Dans cette petite ville de province, tout le monde connaissait Paul, et tout le monde fuyait sa conversation. Il était capable de parler de tout et n’importe quoi, il rebondissait sur la moindre de vos paroles pour partir sur de long discours. Aucun sujet ne lui était étranger et les longs palabres finissaient souvent en monologue faute de combattants. Émettiez-vous un avis sur la météo qu’immédiatement, il vous décrivait statistiques, courbes de température et réchauffement climatique. Vous intéressiez-vous à l’achat d’une automobile, qu’il faisait le choix pour vous, comparait les différents modèles avec avantages ou inconvénients de tel ou tel carburant. Émettiez-vous un avis politique qu’immédiatement il en faisait la genèse historique pour étayer ou contredire vos paroles. Paul était craint et fuit, non pas qu’il fût méchant, au contraire, simplement, une fois dans ses griffes, non seulement vous ne pouviez plus en placer une, mais vous ne saviez pas comment vous en débarrasser…

Un soir, Mademoiselle et ses amies, après quelques coupes de champagne frappé à point, accompagnées de quelques fraises bien juteuses et sucrées, commencèrent à commérer sur son cas et sur ses aptitudes sexuelles. La question qui les tourmentait étant de savoir s’il était encore puceau, ou s’il avait dépassé le stade de la veuve poignet ? Vu la logorrhée dont il était atteint, elles ne pouvaient imaginer qu’une femme, même professionnelle le cas échéant, eut assez de courage pour aller jusqu’au bout. Seule Mademoiselle soutenait que oui, c’était chose possible, et elle en fit le pari contre un bon repas « À la pintade farci », haut lieu de la gastronomie locale !

Contrat fut donc passé, la chose aurait lieu dans le boudoir, sous la surveillance discrète des trois péronnelles…

Attirer Paul fut chose facile. Mademoiselle flatta son ego et sa connaissance de toute chose, en prétextant une expertise sur des travaux au château dont elle trouvait les devis d’artisans locaux bien élevés. Ceci lui valut une explication détaillée sur les arnaques en tout genre dont tout naïf propriétaire risquait d’être la victime !

C’est ainsi que ce samedi, à 15 heures précises, il se présentait à la porte de Mademoiselle et lui détailla toutes les essences d’arbres qu’il venait de croiser dans le parc. En traversant le hall, il entama l’histoire de l’architecture au temps de la Renaissance. En montant l’escalier, meilleur moment de l’amour pour certains connaisseurs, il s’extasia 10 bonnes minutes sur l’exceptionnel coup de pinceau du peintre qui avait fait le portrait d’un quelconque aïeul qui, maintenant, prenait la poussière accroché depuis deux siècles sur le mur. Elle regrettait déjà son pari et ne rêvait que de le mettre à la porte manu militari. Mais elle devinait, cachées derrière la porte, les rires moqueurs des trois garces. Enfin, ils arrivèrent au boudoir. Paul était en train de disserter de l’avantage des ampoules basse consommation sur celles à filament !

À peine eut-elle fermé la porte de la petite pièce, qu’il changea brusquement de conversation, lui expliqua qu’il n’était pas dupe, que ce château était en parfait état et que s’il était là, bien qu’il en fût lui-même étonné, c’était, il n’en doutait pas, pour la bagatelle ! Mademoiselle en fut estomaquée, et elle n’était pas au bout de ses surprises.

Tout en commençant avec tact et doigté à l’entreprendre, il lui expliqua qu’elle était bien tombée et que dans ce domaine aussi, il était expert. Elle dut bien reconnaître que la chose était vraie, et que le bougre savait utiliser ses mains et ses doigts avec la douceur et la dextérité requises à ce genre d’exercices. Bien que ce ne fût pas son intention première, elle se laissa aller à des plaisirs inconnus. Paul était tout simplement un exquis amant, d’autant plus qu’il prouva qu’il savait aussi utiliser sa langue de manière qui ne supportait aucune raillerie. Ils n’en étaient qu’aux préliminaires, quand une première vague de plaisir la submergea…

Malheureusement, quand sa bouche n’était pas occupée à donner du bonheur, le flot de paroles le reprenait, commentant sans cesse tous ses faits et gestes et le pourquoi, et le comment et ce qu’il allait faire maintenant…

Alors qu’elle le chevauchait fougueusement, il dissertait sur sa technique pour retenir son plaisir le plus longtemps possible, c’en fut trop pour elle. Elle mit les mains autour de son cou et le menaçait de l’étrangler s’il ne se taisait pas ! Il n’en fit rien, expliqua que l’idée était fort bonne, et même qu’il paraissait que cela augmentait encore le plaisir au moment crucial. Et elle se mit à serrer, doucement, mais fermement, et lui riait, riait, puis explosa en elle dans un grand cri de satisfaction qui n’avait pu échapper à nos témoins cachés dans le petit salon. Comme paralysée par ce cri, elle ne desserra pas tout de suite son étreinte. De toute façon, il était trop tard, son dernier souffle était parti dans le spasme final.

Ayant retrouvé ses esprits, constatant les dégâts, elle finit de se rhabiller et ouvrit la porte du boudoir. Attirées par les cris, les trois donzelles étaient là, devant elle :

— Alors ?

— Crise cardiaque ! Dommage c’était un bon coup...

— Ah ben merde… Pauvre petit scarabée…

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Va savoir…


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Petit texte dans le cadre des impromptus littéraires avec comme incipit "Dans le petit boudoir de Mademoiselle"