Le fils du rasoir avait juste frôlé la peau, comme pour délimiter la zone. Quelques gouttes de sang commençaient à perler de-ci de-là. Frank commençait à ce souvenir. Ce cauchemar il l’avait lu dans les journaux, aux détails prêts. Il se rappelait le titre, en gros, en première page, au-dessus de la photo d’un cadavre, pas plus tard qu’hier matin : « le retour du prédateur »

 Il la regardait en train d’admirer son coupe-choux. Avec une feuille de papier, elle lui montra la précision de l’engin. Il ne pouvait pas crier avec cette grosse boule qui lui entravait la bouche. Sa respiration s’accélérait, son cœur s’emballait, comme dans un mauvais roman, il commençait à revoir sa vie, les êtres chers, sa femme, son gamin ! Mais quel con il a fait ! Mais pourquoi il l’a suivi ?

Il voyait dans son regard ce signe de jouissance propre à la folie. Il le connaissait bien, il était psychiatre. Ce sourire machiavélique et jovial en même temps. Demain, dans les journaux, il serait le dixième, ou le onzième, il ne savait plus. Des larmes coulaient de ses yeux.

« Vous êtes tous pareil, les mecs, pour baiser, vous êtes toujours partant, mais quand il faut assumer après … C’est comme dans la nature, je suis une mante… » Elle avait dit cela d’une voix neutre, toujours en mirant son coupe-choux, puis se tournant vers lui, d’une voix plus doucereuse : « T’es un bon un coup, un très bon coup… Pour un peu j’aurais joui… Si tu y avais mis un peu du tien… Ce qui me console, c’est que ce sera toi le père de mon fils… Peut-être… Il paraît que je ne peux pas avoir d’enfant… » et puis elle commence à s’énerver : « C’est faux je le sais ! C’est vous, les mecs, qui ne savez pas ! Pourquoi vous ne voulez pas me donner d’enfant ? Pourquoi ? Baiser, oui, mais me donner un fils, non… Salauds, vous êtes tous des salauds… »

Pourquoi, mais pourquoi je l’ai suivi ? Je ne me suis pas méfié quand elle a commencé à jouer avec les menottes, j’aurais dû… Finir humilié, comme cela…

Le rasoir, revenait chatouiller la peau, d’un geste bien contrôlé, la main ferme, juste une marque, un peu de rouge. Elle pleure, en traçant ce corps entravé qui à chaque frôlement se contracte un peu sous la morsure de la lame.

Un téléphone qui sonne, pourquoi met-elle le haut-parleur ?

« Allô ? Madame la procureure ? Commissaire Jenton…

-oui commissaire ?

-J’ai une mauvaise nouvelle… On vient d’en retrouver un onzième ! La mort remontant à deux jours environ. Comme les autres, étranglés à la corde à piano, le corps lacéré, les parties génitales dans la bouche…

-où cela ?

-Dans une benne à ordure, comme toujours, dans la zone industrielle du Clanvielle…

-Bon ben j’arrive…

-Je vous attends… »

 

D’un regard désolé, elle s’adressa à Frank : « Tu vois, il faut que j’y aille, le travail m’attend. Je suis certaine que tu peux me comprendre. Après ce que nous avons fait tous les deux, je ne pourrais pas supporter qu’une autre femme te touche ! L’idée même que tu puisses lui faire un enfant me répugne… Un bon coup, un très bon coup, je te regretterais… Adieu… On m’attend… J’ai une enquête… » En parlant elle avait passé la corde à piano autour du cou et commençait à serrer elle aimait bien regarder les yeux s’exorbiter comme à la recherche d’air. Le bâillon devant la bouche n’aidait pas non plus à respirer ! Et puis, et puis, le dernier soubresaut, serrer encore un peu pour être certaine…

Sa dernière pensée aura été : « Le douzième, je suis le douzième… Pourquoi moi ? »

--------------------------------------------------------

Et voila, comme vous l'aurez compris, ce petit texte dans le cadre des impromptus de cette semaine:

Soyez sombres, noirs, terrifiants. Ou au contraire, surprenez-nous avec une histoire fraîche et candide.
Mondes cruellement réels ou univers fantastiques et oniriques, emmenez-nous où bon vous semblera à condition que dans votre texte nous trouvions ces mots :

"le retour des prédateurs" ou "le retour du prédateur"