La tripoteuse de tête est rentrée de vacances. On se revoit donc, dans le moelleux de son cabinet. Tout est doux chez elle, les tapis, le fauteuil, son sourire, ses yeux. Pas sa voix. Elle a le phrasé râpeux. Toujours au bord de la quinte de toux. Désagréable, cette voix, très désagréable. Je lui ai fait remarquer un jour qu’elle devrait peut-être arrêter de fumer. À son regard, j’ai compris que je n’étais plus dans mon rôle et que si je voulais continuer à profiter de ses bons offices, je devais revenir à des relations plus conventionnelles. Heureusement, c’est moi qui parle le plus. Elle, elle se contente bien souvent de quelques interjections, genre ah ! Hum hum, oui, je vois… et de quelques questions savamment dosées. Jamais un mot de trop, comme si elle économisait ses paroles. Le bonjour de l’accueil, elle m’installe confortablement, quelques mots sur le quoi et le comment du jour, et puis c’est parti pour un bon moment de grande solitude, je parle, je parle, de tout et de n’importe quoi, et à chaque fois je me demande si elle écoute vraiment ce que j’ai sur le cœur. Je me mets à sa place aussi, si tous ces clients radotent comme moi, cela doit être pénible à la longue. Mais non, la fois d’après, d’un mot ou deux, elle me remémore la discussion précédente, discussions n’est pas le mot juste, monologue devrais-je dire. Voila quatre ans que cela dur, des fois je me dis que je devrais changer, en choisir une de moins atypique qui au moins fasse mine de s’intéresser, qui parle, relance, me donne son avis, mais à chaque fois, au moment de payer, en me regardant dans la glace, je sais que c’est la seule coiffeuse qui a compris la morphologie de mon cheveu…

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Voici ma participation au Sablier Givré grain 5, un incipit sur une proposition de Benjamin...