lundi, 30 mai 2011

Entretien d'embauche (2)…

Les études sont terminées, je viens de finir mon année sous les drapeaux, et après un mois de vacances il est temps de trouver du boulot. Pour le coup, j’envoie quelque 200 CV dans diverses industries du cinéma, j’épluche le film français à la recherche des tournages, j’ai quelques contacts intéressants, mais pas pour du boulot immédiat.

Et puis un soir le téléphone sonne :

— Mr Gilsoub ?

— Oui…

— Bonjour, Paul André Machinchose, est-ce que cela te rappelle quelque chose ?

— Paul André ? Un peu que je me rappelle, les éclaireurs à Versailles, quelques camps, de la bonne rigolade, mais dis donc cela date ! Au moins 10 ans !

— Ouais hein ? Bon ! Tu cherches toujours du boulot ? J’ai ton CV devant moi…

— Heu ben oui, j’ai quelque piste, mais bon…

— Tu peux passer demain ? Vers 10 heures ? Je te ferais visiter la boite, et si cela te plaît ben tu verras avec le responsable de service…

— Heu oui, tu peux me rappeler le nom et l’adresse ? S’il te plaît ?

— Vi Trucmuche Audiovisuel, 10 rue du coin à Proche Banlieue…

On raccroche, et je reste dubitatif, si j’ai bien reconnu un vieux pote d’il y a longtemps, le nom de la boîte ne me dit rien ! J’ai beau regarder dans mes fiches, je ne leur ai envoyé aucun CV !

Donc le lendemain matin, la boule au ventre me voila qui me pointe à ladite adresse. Je rencontre mon pote, qui me fait un tour rapide de la boîte. Je ne comprends pas trop ce qu’ils font, sauf que ce n’est pas du cinéma. Il me parle spectacle, vidéoprojecteur, régie vidéo.Je hoche la tête d’un air entendu… puis m’emmène dans un bureau et me présente Jean Thebigchef qui m’invite à m’asseoir. Autant vous dire qu’une fois la porte refermée, je n’en mène pas large…

D’abord, les questions classiques sur mon profil, ce que je savais faire, mes études. Bien en mal de répondre dans un sens ou l’autre, vu que je n’ai toujours pas bien compris ce que faisait cette société, sauf que si c’est bien de l’audiovisuel, cela semble bien loin de mes études et de mes rêves de cinéma… Bon an mal an, je brode ce que je peux quand brusquement l’entretien a pris une tournure étrange. Mon interlocuteur me demanda, si j’étais de la famille de Mr Maisquicest ? Un neveu peut-être ? Je répondis que non… Un ami alors… et pendant dix minutes entre des questions d’ordres professionnels, il m’en pose des vraiment incongrues concernant mes rapports avec un Monsieur que je ne connais pas. Mon sixième sens me pousse à éluder l’air de rien, de manière plus ou moins mystérieuse, genre je ne dirais rien Monsieur le commissaire. Je sens que cela l’agace, mais il reste très courtois en attaquant la question de la rémunération. Combien je dois demander ? Heu… Qu’est-ce que j’en sais moi ? Voilà bien une question que je ne m’étais pas posée ! Combien puis-je demander pour un boulot que l’on me propose et que je n’ai pas bien compris en quoi il consistait ? Et donc, d’un air que je veux sur de moi (tu parles Charles !) je retourne la question, combien il me propose ? 7200 francs plus heures sup et prime tous les trois mois, ticket restau et mutuelle… Je lui dis OK pour 7500, il rigole et me dit d’accord, je commence lundi prochain (un 8 oct je crois bien). On se sert la main et je retrouve mon pote. Il m’invite à déjeuner et là je vais commencer à comprendre l’histoire de ce qui fut le début de ma longue carrière que je continue aujourd’hui. 

Je lui demande comment il a eu mon CV en main. Il eut l’air un peu étonné, mais m’expliqua que Mr Maisquicest, le patron (ah ben je sais qui c’est maintenant), a donné mon CV à Thebigchef (qui m’a donc reçue, faut suivre !) en lui demandant de voir ce qu’on pouvait en faire. Il prit cela comme un ordre et refila le bébé au responsable du service vidéo… Et mon pote qui bossait dans ce service vit mon CV sur le bureau de son chef, et prit les choses en main… J’appris également qu’un poste sur mesure avait été créé pour moi, puisqu’aucune embauche n’était prévue. 

Restait un mystère, comment mon CV était arrivé sur le bureau du big boss ? Je mis plusieurs mois à l’apprendre. Mon père avait dit à un voisin que je cherchais du taf dans ce domaine. Un voisin lui dit qu’il avait un ami qui avait monté sa boite, et mon père lui donna un de mes CV. Il oublia juste de me prévenir. C’est en croisant ce voisin un jour, qu’il me demandais si j’avais trouvé du travail, que dans la discussion je compris le pot au rose ! Du coup je l’en remerciai vivement de son intervention.

Je ne savais pas encore que j’allais vivre une grande aventure, participer à la création d’un nouveau métier, l’événementiel audiovisuel n’en était qu’à son balbutiement, avec de pauvres vidéoprojecteurs tri-tube, des murs d’image avec de gros moniteurs et des électroniques instables, des inventeurs fous et passionnés, du système D et une super ambiance malgré les heures et la fatigue. Mon record personnel, 72 heures debout, à bosser, quand il faut que cela marche… 

Aujourd’hui, je pense que je ne pourrais pas, et de toute façon, je ne voudrais plus. À l’époque, client comme employeurs avait de la reconnaissance pour le boulot fait, reconnaissance intellectuelle, mais aussi financière.

je restais 2 ans et demi à mon poste avant d’être licencié pour raison économique et surtout à cause de la premiére guerre du golfe. Chômage mal vécu au début, mais qui au final fut une véritable opportunité d’évolution de carrière…

J’ai un peu la nostalgie de ces années où le métier était surtout composé de grand malade, où l’on devait beaucoup inventer, innover et où les patrons étaient issus de nos rangs, n’avait pas la grosse tête. Ils avaient juste monté leur boite mais l’on faisait le même métier. Depuis la machine financière a pris le dessus, c’est devenu un marché important, les boites ont été rachetées par des investisseurs loin des réalités du métier. Des diplômes et des BTS audiovisuels ont été inventés (ce qui en soit est une bonne chose, mais pas assez généraliste!) aux dépens d’une polyvalence technique, les agences événementielles ont grossi et se sont institutionnalisées…

Il n’empêche, que même si je deviens vieux con, je l’aime bien mon métier ;-)

Et puis, comme souvent, je me suis encore dit que ma bonne étoile, décidément, n’était jamais vraiment loin…