jeudi, 25 février 2010

Rentre à la maison...


Il a poussé la porte de mon troquet préféré, il était grand, très maigre dans un manteau vert. Son visage était long et émacié, les pommettes saillantes, un long nez fin, des yeux d'un noir profond, le regard perçant. Les cheveux couleur de Geai, peigné vers l'arrière du front et éclatant de brillantine à la mode des années cinquante. Je lui ai donné dans la trentaine. Il s’est installé au bout du zinc, avec vue sur la rue. C'est d'un ton sec, mais polis, qu'il a commandé son Jet 27 ; avec deux glaçons !

Il dévisageait les passants, malgré la nuit, tout en sirotant sa menthe glacée. Cela a bien duré cinq minutes. Les discussions de bar continuaient entre les spécialistes des Olympiades, qui nous aurais certainement fait glané quelques médailles de plus, et les philosophes de l'alcootest et des nombreux contrôles d'icelui, qui s'entraînaient certainement pour le prochain.

Et puis, brusquement, tel un oiseau de proie, il fondit sur le trottoir. Quelques secondes plus tard, il revint accompagner de sa prise. Petite, brune, haute perchée sur des espèces de grolle à talon qui donnaient de jolies rondeurs à son postérieur callipyge enserré dans un jeans manifestement trop serré. Maquillage Ripolin façon spatule qui, à mon goût, enlaidissait ce qui pourtant paraissait être gracieux ! Elle tapotait nerveusement sur son téléphone, l'air de mauvais poil. Si je n'entendis pas la discussion, une chose est certaine ils n'avaient pas l'air d'accord !

Puis elle ressortit, le téléphone collé à l'oreille. Dehors, elle tournait en rond, faisant de grands gestes de la main inoccupés, la porte du café était fermée, mais l'on entendait ses éclats de voix, et nul doute que les passants qui attendaient le feu rouge, profitèrent de l'algarade. Il la rejoignit, dit des choses, elle lui faisait le geste de la laisser tranquille, elle raccrocha, et revinrent ensemble. Puis le manège se reproduisit encore deux fois…

Au retour de la troisième sortie houleuse, il lui dit : « Rentre à la maison, je m'en occupe ! »

Sur quoi elle répondit : « c'est mon problème pas le tien ! »

Le ton monta : « Rentre que je te dis ! »

« Non » cria elle !

« Je te dis de rentrer à la maison, maintenant cela suffit ! »

« Non je rentre chez moi ! » Sur ce, ses doigts dansèrent à nouveau sur le clavier de son téléphone et elle ressortit, rapidement suivis par le grand ombrageux.

Cela faisait un moment que les considérations diverses et variées sur les informations du jour avaient cessé. Les quelques rares clients présents, dont moi, ne s'intéressant plus qu'a cette attraction inopinée. Les commentaires allant bon train dès que les deux étaient dehors, pour se taire de plus belle dès que la porte se rouvrait !

Ce coup-ci, il rentra seul. Elle, continuant à vociférer contre je ne sais qui le portable collé à l'oreille. 

De retour à son poste, il l'observait, et quand elle raccrocha et reprit sa route, il fit comme une sorte de claquement de langue énervé, suivis d'un feulement dans lesquels je crus reconnaître un « salope » désappointée…

Pourquoi j'attire toujours le besoin de communications des poivrots de services et autre frustré de bases quand je suis dans un bistrot, je n'en sais absolument rien, mais le fait est !

Je pensais être bien planqué derrière mon demi, regardant d'un œil distrait des skieuses en train de se battre avec des piquets, œil qui me trahit en partant à la recherche du verre, œil qui croisa bien malgré lui le regard noir de notre homme désabusé.

Trop tard, c'est bien sûr moi qu'il jeta son dévolu pour expectorer toute la haine qu'il avait accumulé. :

« Non, mais, regardez-moi ces petites pisseuses, franchement, cela n'a rien dans la tête ! Je la claquerais bien tiens, une bonne rouste pour lui remettre les idées en place ! Mais elle serait capable de porter plainte ! Franchement, vous trouvez cela normal ? »

Heu… C'est à moi que tu causes ? Pensai-je, levant une paupière étonnée de celui qui n'a rien suivi de l'affaire. Si tu crois trouver une quelconque solidarité masculine de mon côté, comment dire… C'est mal barré…

« Ben oui, c'est la vie ! » que j'ai répondue en payant. 

S’il y a bien un truc que j'ai appris, c'est qu'il ne sert à rien de causer avec des gens bourrés ou énervés dans le fin fond d'un troquet, et un con restant un con…

Marrant, si j'ose dire, en rentrant, en écoutant les infos, y ne causais que de femmes battues, de nouvelle loi, et de bracelet électronique…

[Edit] Pour ceux qui préfèrent voici la version vocale: