dimanche, 25 janvier 2009

Souvenir d'école...

Quand il arrivait, nous nous levions comme un seul homme. Pas besoin d’ordre, c’était naturel, automatique, je n’ai même pas souvenir que l’on nous l’ait appris, fait répéter. Juste le poids de sa main sur la poignée, sa silhouette à travers de la vitre, le léger toc toc sur la porte et nous étions debout, le raclement des pieds de chaises brutalement repoussé sur le plancher, et en chœur, un « bonjour Monsieur le Directeur ».

-Bonjour les enfants, asseyez-vous ! Je suis venu vous parler de ce qu’il s’est passé ce matin dans la cour de récréation…

Là, je me suis fait tout petit derrière mon pupitre, plus petit encore que je ne l’étais alors, c'est-à-dire pas bien haut…

 

Quand je repense à cette période, je me dis que finalement ce n’est pas si loin, trente ans à peine, et pourtant tellement vieux si l’on regarde cette image d’Épinal de la fin des années soixante-dix. J’ai l’impression d’avoir vécu une époque de transition. Il y avait dans mon école, deux instituteurs que je qualifierais d’ancienne génération sans aucune idée péjorative de ma part. Juste, c’était des maîtres d’école qui finissaient leur longue carrière ici, qui avaient vu passer toute ma fratrie, des instituteurs en blouse grise, le petit cartable en cuir et le béret pour sortir. Des instituteurs qui apprenaient encore à leur élève à écrire à la plume sergent-major. Dans la classe d’à côté, la jeune institutrice n’utilisait plus que le stylo à bille, ce qui donnait lieu à de grandes joutes verbales lors des récréations avec nos congénères, pour savoir qui avaient le plus de chance, les modernes du bic orange, ou les anciens de la plume d’états-majors, du buvard et des encriers remplis avec la grosse bouteille, suprême honneur de l’enfant sage et studieux ; honneur que je n’ai pas souvenir d’avoir eu un jour. De toute façon, c’est ma classe la meilleure, les autres étant dans l’école des filles ! Non pas que j’ai connu l’époque de la séparation des sexes, non, cela faisant déjà quelques années que la mixité était de règles, mais simplement pour des raisons pratiques de dénomination, les deux ailes du bâtiment avaient gardé celle gravée sur leur fronton…

 

Mais revenons à notre directeur qui avait des choses importantes à nous à nous faire part.

 

Imaginez qu’à cette époque nulle sonnette ne venait troubler la récréation ; tous se faisaient au sifflet. Un long coup strident, voulait dire, regardez donc le surveillant de la cour pour savoir qui c’était fait gauler. Trois coups brefs, tout le monde de s’arrêter sur place, quelle que soit son activité. En général, c’était pour la fin de la récréation, mais cela pouvait aussi être le cas pour une grosse bêtise ou une bagarre générale ; les générations d’aujourd'hui n’ayant pas le privilège de la violence scolaire. Quant à la fin des récréations, deux coups brefs nous donnaient l’ordre de nous mettre en rang, en silence, et d’attendre que notre instituteur nous remonte dans nos classes respectives…

 

Et donc, Monsieur le Directeur venait nous parler de l’incident du matin… Franchement, il aurait pu s’en passer, il n’y avait pas de quoi, de mon point de vue, à fouetter un chat ; ou plutôt un chien…

 

Car c’est bien d’un chien dont il s’agissait. J’ai oublié de vous dire que lors de cet épisode, je devais bien avoir 10 ans, guère plus, et qu’à cette époque, j’allais déjà de bon matin à l’école tout seul, le sac sur le dos. La télévision n’instillait pas encore à nos chers parents la peur du prédateur d’enfant qui grouille de nos jours, n’en doutons pas, autour de nos établissements scolaires. Certes, aussi, la circulation automobile était moins importante. Peu importe. C’est donc solitaire que j’arrivais le matin à l’école et rejoignais les copains en récréation pour quelques parties endiablées de pot, histoire de perdre ou de glaner quelques billes. Il nous restait bien 10 minutes avant la fatalité de la grammaire ou du calcul, quand soudain trois coups de sifflet stridents figèrent la cour. Surpris, j’ai raté le trou, et surtout le gros calot qui n’attendait plus que mon sac, il faudra que je fasse annuler ce jeu !

Je dus être la seule statue humaine à bouger, malgré les récriminations et autres cris émanant des autorités, dès que je compris la raison de cet arrêt inopiné indépendant de ma volonté. Un cocker, un mignon petit cocker répondant au doux nom de Taki. Et ce cocker était mon Bill à moi, et moi certainement son Boule ! Et Bill avait donc choisi de me suivre à l’école ! Surveillant et directeur furent vite rassurés de s’apercevoir que la rage ne s’apprêtait pas à envahir l’école, qu’il n’y avait nul besoin d’appeler pompier, police ou tout super héros, et qu’un bout de choux de 10 ans, du haut de toute son autorité venait de faire asseoir devant lui, le moignon de queue frétillant et la langue bavante, un dangereux et féroce Cocker, une petite minute de gloire qui me fera bien quelques récréations. Sommé de ramener rapidement le quadrupède dans son jardin d’où il n’aurait jamais dû sortir et de revenir en quatrième vitesse, c’est avec un retard de cinq minutes que je fis mon entrée en classe. Je n’ose même pas imaginer une situation semblable aujourd’hui dans une de nos écoles, nul doute que notre président prendrait immédiatement des mesures interdisant l’accès au chien à nos établissements…

 

Et voilà la raison de la présence du directeur, ce matin-là dans la classe, pour nous dire, pour me dire… quoi déjà ? En fait, je ne sais plus ce qu’il nous a dit, ce que je me rappelle, c’est mon heure de gloire, ce petit chien que j’adorais, et qui m’avait suivi dès potron-minet, certainement par solidarité, tout simplement…

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Ce petit texte totalement autobiographique est écrit dans le cadre des impromptus et dont le thème de la semaine était "un souvenir d'école".

Et c'est avec légèreté que les votes sont clos...

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