jeudi, 24 janvier 2008

Une inconnue bien comme il faut…

Il est deux heures et demie du matin. Les portes du camion viennent de se refermer sur une journée de travail bien ordinaire. Dehors, je suis accueilli par la fraîcheur de la nuit. Tout est calme du côté de la porte Maillot, on est en semaine, une nuit d'hiver. Seul sur le trottoir, je longe le palais des congrès vers le parking. Une mobylette passe. J'ai l'impression qu'elle doit réveiller tout ce que la ville compte de dormeur. Elle est loin et je l'entends encore. La nuit, les bruits les plus banals prennent une importance déconcertante. De jour, je n'y aurais même pas fait attention…
C'est aux caisses que je l'ai remarqué. Pas tout de suite, tellement absorbé par la recherche de mon ticket. Elle était là, dans le coin, du côté de l'escalier, pas trop loin des lumières de la porte qui, de jour, donne directement accès à la galerie marchande. Peut êtres était-elle rassuré par la présence des vigiles qui tourne régulièrement de l'autre coté de la vitre. Et aussi par cette caméra braquée sur elle...
Des gens qui trouvent refuge dans les parkings, j'en vois souvent, surtout l'hiver, mais là c'était différent. Rien ne la rapprochait des habitués, malgré eux, de ce type d'endroit. D'abord, ils choisissent rarement la salle des caisses pour dormir, ils s'en font déloger rapidement par les vigiles, soucieux du bien-être des clients et autre fêtard. Non ils préfèrent descendre dans le parc et se trouver un petit coin tranquille, où personne ne viendra les ennuyer tant qu'ils se tiennent à carreau. Tolérance tacite entre eux et la sécurité. Elle, au contraire, était bien en vue de ceux que les autres évitent. Assise sur sa valise, les jambes repliées sous son menton, les bras entourant les genoux et la tête dans les bras. Elle dormait. La valise ? Modèle classique en toile noire avec poignée et roulette. Pas un de ces vieux trucs de récupération. Elle portait un long manteau bleu, le tissu, on aurait dit de la laine ou du feutre. Mais il était propre et semblait de bonne qualité. Une montre banale au poignet, un chouchou retenant des cheveux mi-longs.
Vous devez 28 euros pour avoir stationné de 09 heures 31 à 2 heures 34 du matin m'explique la machine. Ne se font pas chier les mecs, et en plus pas certains que je puisse me faire rembourser ! J'insère la carte bleue et attends les ordres en regardant la dormeuse du coin de l'oeil.
Qui est-elle, que fait-elle là ? Elle n'a vraiment pas le look des baroudeurs en visite dans la capitale aux moindres frais, ni celui de la sans-logis. Je ne peux m'empêcher d'imaginer les raisons qui l'ont emmené ici… Une rupture subite, sans avoir eu le temps de se retourner ? Où, plus simplement, le seul moyen qu'elle est trouvée pour ne pas rater le premier bus en partance pour l'aéroport de Roissy, tout à l'heure ? C'est vrai que les hôtels dans le coin ne sont pas donnés ! Où alors, une SDF en devenir, qui n'a pas encore les stigmates de la marginalité, qui ne possède pas encore les codes de ce milieu ?
À propos de code, la machine veut le mien… Elle ne m'oublie pas la machine… Voulez-vous un reçu ? Ben oui, que j'en veux un…
Oui elle m'intrigue vraiment cette dame, entre trente et quarante ans je dirai, là, à dormir sur sa valise ! Mais dort-elle vraiment, elle n'a pas bougé depuis que je suis arrivé… Fait-elle juste semblant pour ne pas attirer mon attention ? Dans cette position, j'aurais vraiment du mal à trouver le sommeil !
Les portes de l’ascenseur se referment sur un dernier regard de ma part. J'ai de la compassion pour elle, une vague de tristesse. Puis je rentre chez moi et me couche, au chaud, dans un lit bien douillet.
Mais qui était-elle, cette inconnue du parking ?